Saint-Lunaire, ville proche de Saint-Malo, accueille notre association. L’occasion pour Tugdual Guyon d’évoquer Saint-Lunaire au Canada.
Par Tugdual Guyon,
Jacques Cartier et Saint-Lunaire en transat’
“Saint-Lunaire” est un nom voyageur. Élevé au rang de saint par le voyage qu’il fit en quittant son île d’Irlande pour évangéliser la terre armoricaine au VIème siècle, le moine Lunaire destinait pour toujours ceux qui empruntent son nom à se tourner vers la mer. Et la mer à se tourner vers Saint-Lunaire.
Les deux baies de Saint Lunaire au Canada
Ce 2 juillet 1534, Jacques Cartier, qui explorait pour la première fois le Canada et ne savait pas qu’il se trouvait face à l’île Epekwit’k (“berceau sur les vagues” en Mic mac), devait choisir un nom à l’immense détroit au milieu duquel mouillaient ses deux petits vaisseaux. Pas de repos pour les découvreurs de nouveaux mondes : chaque port, chaque cap, chaque baie doivent être baptisés.
Ce jour-là, le pilote ne fonde son choix ni sur un descriptif des lieux comme il l’avait fait pour nommer “l’île des Margots” (ancien nom des fous de bassan), ni sur une jolie allusion aux aléas de son aventure comme il le fera le lendemain en inventant le “Cap d’Espérance”, lui qui cherchait désespérément l’embouchure du fleuve Saint-Laurent[1]. Seul au beau milieu du détroit appelé aujourd’hui Northumberland, le Malouin choisit de baptiser celui-ci du nom du Saint Breton du jour : “Baie de Saint Lunaire”[2] !
Voici le nom de Saint-Lunaire, sillonneur de la Manche, embarqué dans une sacrée transatlantique. Rien de fondamentalement nouveau, pourtant, si l’on sort des grands récits trop simplistes…
Si François Ier a choisi Cartier pour trouver une nouvelle voie permettant de rejoindre la Chine par l’Amérique du Nord, c’est que les gars de la Côte d’Emeraude, dont Jacques fait partie, connaissaient déjà particulièrement la route, fréquentant de longue date les flancs du Canada, et notamment l’île de Terre-Neuve. Et se perdaient, peut-être, parfois, au-delà…
D’ailleurs, plus modestement, plus secrètement, le nom de Saint-Lunaire s’était déjà fixé, avant même l’arrivée de Cartier, de l’autre côté de l’Atlantique. A la pointe la plus septentrionale de Terre-Neuve (on pourrait dire en son Décollé) existe en effet une jolie baie appelée elle aussi, déjà, Saint-Lunaire.
Aujourd’hui, un village de 600 habitants porte même encore ce nom, legs de l’activité de pêche à la morue que les marins de chez nous pratiquaient là depuis au moins la fin du XVème siècle.
Au passage, la “Saint-Lunaire Bay” est “un des plus beaux ports de la côte de Terre-neuve”, affirme un manuel de navigation de 1859. Décidément, en Terra incognita comme sur le Vieux Continent, les lunairiens se sont arrogés les plus beaux espaces ! Saint-Lunaire ne serait donc rien d’autre que le nom du Beau qui voyage…
[1] Relations du voyage de Jacques Cartier au Canada en 1534, disponible sur Gallica.
[2] Merdrignac, La vie latine de Saint-Lunaire, 1992.